FAMILLE
CARAYON-DUCHÊNE
ANECDOTES FAMILIALES |
Morainvilliers
Durant la guerre de 1914-1918 mon grand-père Raymond Gustave Duchêne fut soigné en 1915 puis en 1916 de ses blessures de guerre à Morainvilliers, petit village de 350 habitants à l'époque, près de St-Germain-en-Laye, dans le château de Bénainvilliers (voir page "Guerre 14-18") appartenant à Mr et Mme BEDEL (des Déménagements BEDEL) qui l'avaient mis à disposition de l'Association des Dames Françaises, dont Madame BEDEL était membre active, pour le transformer en hôpital auxiliaire pour la convalescence d'officiers blessés au front envoyés par les hôtels Meurice et Ritz qui eux aussi étaient devenus hôpitaux militaires pour officiers; les femmes et jeunes filles de la famille se transformèrent alors en infirmières bénévoles pour la durée de la guerre. (Anecdote : "Je vous écris au sujet de l'hôpital auxiliaire de Bénainvilliers où votre grand-père Gustave Duchêne a été soigné en1916. C'est mon arrière-grand-mère qui s'en occupait et j'ai un album de photos sur lequel se trouve votre grand-père...").
Ma grand-mère venait alors de Paris en train et autocar avec sa fille aînée Raymonde âgée de 3 ans voir mon grand-père et avait trouvé à se loger chez Mr et Mme Guénée , qui habitaient place de l'Église...
Quelque 20 années plus tard mes grands-parents qui habitaient Anvers (Belgique) où mon grand-père dirigeait le Grand Magasin "A l'Innovation" songèrent à trouver une propriété en France pour y prendre plus tard leur retraite, et pensèrent à Morainvilliers. Mr et Mme Guénée, habitant toujours sur la place du village, leur proposèrent de leur vendre en viager leur propriété , dont une dépendance fut de suite mise à leur disposition pour y faire un séjour dès l'été 1937. Puis ils purent acheter début 1938 la propriété contiguë appartenant à Mme Vallon, constituée de quatre corps de bâtiments autour d'une cour intérieure et d'un jardin attenant planté de 1000 arbres fruitiers, où ils passèrent les vacances de l'été 1939. Ils firent installer une salle de bains avec baignoire, le téléphone ; la maison fut meublée tout d'abord par le mobilier hérité de leurs parents décédés, puis mon grand-père fit fabriquer en Belgique à son goût par un ébéniste la salle à manger, le mobilier du salon fut acheté en magasin, les chambres par les meubles familiaux hérités.
Au rez-de-chaussée d'une dépendance sans eau courante habitait un couple, Mr et Mme LEROY, locataires de l'ancienne propriétaire, dont mes grands-parents renouvelèrent le bail jusqu'à leur décès au début des années 1960 pour 1 franc symbolique ; ils disposaient de 2 petites pièces dont une sans fenêtre, un petit jardinet et un bûcher pour entreposer et couper leur bois de chauffage et de cuisson. Ils vivaient presque cloîtrés, vivant de leur maigre retraite ; ma grand-mère passait voir Mme LEROY chaque jour après le décès de son époux, mon père s'occupant les dernières années de son ravitaillement ; à son décès ses économies ne permirent même pas de couvrir les frais de ses obsèques. Je ne suis pas sûr qu'ils aient jamais franchi la porte de la maison de mes grands-parents... Cette dépendance dut être démolie dans les années 1980...
Après le décès de mon grand-père survenu à la fin de 1951 à l'âge de 62 ans des suites d'une cirrhose médicamenteuse et d'une pleurésie mal soignée, ma grand-mère revendit la 1ère propriété à Mr et Mme Lemaître, originaires d'Orgeval... Puis 30 années plus tard au décès de ma grand-mère survenu en 1981 la propriété fut partagée entre ma mère, qui put conserver une propriété en un seul tenant , et sa sœur, qui reçut les différents terrains acquis au fil des ans par mes grands-parents...
Ma future mère fit la connaissance, lors de son séjour de la fin de l'été 1938, de Marcel Carayon, mon futur père, jeune instituteur arrivant de Toulouse qui venait d'être affecté à Morainvilliers en tant qu'instituteur remplaçant ; la fenêtre de sa chambre au 1er étage de l'école faisait face à celle de la sienne... Elle n'avoua son idylle à ses parents que le 1er août 1939.
Guerre 1939-1945
Le 24 août, neuf jours avant la déclaration de la guerre, ma future mère, sa meilleure amie belge Simone arrivée la veille de Anvers et sa sœur aînée Raymonde furent emmenées en voiture par leurs parents en vacances à Carteret (Manche), à l'hôtel de la Mer, leurs parents rentrant aussitôt à Morainvilliers, puis son père repartit à Anvers en train. Mais la montée en charge de la mobilisation en France décida le 29 août leur père de leur demander d'écourter leur séjour et de rentrer d'urgence, par le train ; il prit lui-même le jour même le train à Anvers pour Paris et arriva à Morainvilliers le 30 au matin, 1 heure après ses filles ; il repartit aussitôt avec Yvonne et son amie belge en voiture (laissée à Morainvilliers 10 jours plus tôt) pour la Belgique dont la neutralité venait d'être réaffirmée et qu'il pensait être plus sûre pour sa fille ; Raymonde, de 5 ans plus âgée que Yvonne et travaillant alors à Paris, resta à Morainvilliers sous la garde de sa grand-mère Jeanne Henry appelée en renfort de Fontenay-sous-Bois où elle résidait. Yvonne ne les rejoindra que le 11 novembre en train, accompagnée de sa mère et de leur petite chienne Cita (après être restées bloquées durant plus de 1h en douane malgré leurs visas). Leur mère repartit vite pour Anvers rejoindre son époux.
Bouilleur de cru dans la cour, novembre 1939
Dès décembre 1939, leurs deux filles ne résidant plus avec eux, mes grands-parents décidèrent d'emménager dans un appartement plus petit et d'envoyer à Morainvilliers, par péniche jusqu'à Poissy puis camion, les meubles non nécessaires à leur vie quotidienne ainsi que tous les objets et souvenirs familiaux (papiers familiaux, photos, jouets d'enfants, etc...) qui furent ainsi sauvés de la guerre ; ce déménagement fut également motivé par le fait qu'ils habitaient le Torengebouwen , alors plus haut immeuble d'Europe, sur le toit duquel une batterie anti-aérienne venait d'être installée l'exposant à de possibles attaques aériennes allemandes... Durant la "drôle de guerre", ma grand-mère fit plusieurs aller-retours entre Morainvilliers et Anvers, où elle se trouvait encore le 10 mai 1940, jour de l'invasion allemande ; mon grand-père l'en fit partir le jour même par train pour la France.
Le 12 mai, soit deux jours plus tard, l'Ambassade de
France et la Chambre de Commerce conseillèrent vivement à mon grand-père de quitter
au plus vite la
Belgique (comme tous les cadres français anciens combattants), et il partit précipitamment pour la France, emmenant avec lui
Marie-Thérèse et Lucienne Van Dyck, âgées de 14 et 16 ans, filles
d'un couple d'amis belges que ceux-ci lui confièrent de peur d'exactions
possibles de soldats Allemands (souvenirs encore brûlants de
1914-1918). Il dut vendre son automobile Plymouth à la frontière franco-belge qu'ils
ne purent passer qu'à pied, et arrivèrent tous trois à
Morainvilliers le 15 mai à 2 h du matin (plus de 60 h pour faire 360 km)...
Quelques jours après son
départ d'Anvers, le 20 mai, des soldats Allemands se rendirent à
l'Innovation, le Grand magasin dont il était le directeur, pour l'arrêter ; sa secrétaire les informèrent qu'il était parti pour la France, mais qu'elle ne savait pas où
exactement (elle informa plus tard mes grand-parents que le chef des Allemands
venus l'arrêter était un des "acheteurs" allemands fournissant
l'Innovation avant la guerre avec lequel mon grand-père entretenait de très
mauvaises relations en raison de ses diatribes nazies à chacun de ses
passages).
Mes grands-parents rachetèrent aussitôt une Panhard & Levassor berline X72 6 cylindres , d'occasion.
Mon futur père Marcel Carayon, rentré à Toulouse le 11 juillet 1939 après la fin des classes et ne sachant où il serait affecté la rentrée suivante, fut mobilisé le 03 septembre 1939 et affecté tout d'abord à Agen, puis le 18 novembre à la Compagnie du Train n° 1100/21 du Centre d'État-major de Paris à l'École Supérieure de Guerre, 09 Place Joffre, Paris 07, comme secrétaire du Trésorier, le Capitaine Mazoyer, son supérieur durant son service militaire à Colmar qui le fit affecter à ses côtés. Il fut promu Maréchal des Logis le 01 avril 1940.
Yvonne visitant Marcel à l'École Supérieure de Guerre
Il ne se trouva donc pas
dans une unité combattante et, lors de la débâcle de juin
1940, l'État-major décida de se replier sur Montauban
avant la destruction par l'Armée Française des ponts sur la Loire, ce qui évita à mon père d'être fait prisonnier
comme le furent son frère Henri (affecté sur la Ligne
Maginot), mon grand-oncle maternel Maurice
Henry, ainsi que 2 cousins maternels,
Jean et André Étendard, qui tous quatre ne rentrèrent en
France qu'en 1945.
Logé durant 2 mois et demi aux alentours de
Montauban chez l'habitant (Mr et Mme Louis Faure, hameau de La Barthe à
Falguières ), il participa aux récoltes des agriculteurs dans une
atmosphère joyeuse
puis fut démobilisé le 02 septembre 1940 et retrouva le 06
septembre les bancs de
l'école de Morainvilliers, sa classe comptant alors 76 élèves du fait de l'afflux
de réfugiés de la région parisienne...
Exode du 12 au 23 juin 1940
Le 22 mai 1940, Monsieur et Madame Asselin, fermiers de la famille Deutsch de la Meurthe (principaux propriétaires fonciers de la région), emmenèrent les enfants du village chez des cousins, Mr et Mme Roger Asselin, aux Granges-le-Roi, près de Dourdan (à 60 km de Morainvilliers).
Les jours précédant l'exode, les
habitants de Morainvilliers rassemblèrent des vêtements
dans des cantines et les confièrent à Monsieur Asselin qui emmena le tout le 11
juin chez ses cousins,
où chacun pourrait passer les prendre sur la route de l'exode... Les 10 et 11 juin
de nombreux habitants commencèrent à évacuer le village, au désespoir
du Maire Mr Roger qui essayait de les retenir, n'ayant reçu aucune consigne des
autorités. Le 12 juin au matin, la famille s'éveilla et se rendit
compte que le village avait été évacué à l'aube sans les
prévenir... (Anvers était un peu l'Allemagne pour les
habitants, qui voyaient d'un mauvais oeil depuis 2 ans une
voiture américaine (Plymouth PJ Sedan Deluxe )
immatriculée en Belgique
régulièrement à Morainvilliers); de plus, la propagande sur la
"5ème colonne" rendait tout le monde méfiant... Seuls
Mr et Mme Guénée étaient encore là sur le point de partir
vers Dourdan, ayant leur automobile personnelle ; ils proposèrent
d'emmener avec eux mon arrière-grand-mère Jeanne HENRY, alors âgée de 73 ans.
Mes grands-parents, ma tante Raymonde, ma future mère
Yvonne, leur chienne Cita, Marie-Thérèse et Lucienne Van Dyck,
et ma cousine Christiane Henry ,
alors âgée de 5 ans, qui elle aussi
avait été confiée à mes grands-parents par sa mère, son père venant d'être
fait prisonnier par les Allemands, partirent donc à
pied pour Dourdan en poussant un landau pour transporter des provisions et ma
petite cousine, ma future mère juchée sur la bicyclette que mon
futur père lui avait laissée. Le souvenir que ma cousine a conservé
de cette épopée était toujours ancré dans sa mémoire plusieurs dizaines
d'années plus tard ; en voici la relation : "Que la route pouvait être
longue, l'on me disait que maman était au bout de la route, j'y croyais et j'avançais.
Grand-mère me cachait souvent dans les fossés ; les chevaux étaient
éventrés, l'odeur était épouvantable ; je me souviens que grand-mère avait
acheté dans une pharmacie un flacon d'eau de Cologne, dont l'odeur était très
forte, pour soulager mes nausées... Je pouvais souvent reposer mes petites
jambes pas trop vaillantes sur la bicyclette de Yvonne..."
Voici maintenant la
relation de leur exode, tel que noté par ma grand-mère sur son
agenda :
(les NB m'ont été fournis par ma mère, qui
avait 22 ans à l'époque)
"Mercredi 12 juin : Déjeuner dans un café près du chemin de fer : omelette,
tripes, salade; vu Christian sur la route (leur commis de
ferme); préparé dîner petits pois dans grange; parlé
à soldats tankistes; dame venue nous chercher pour
dîner et nous coucher.
Jeudi 13 juin : Bu du lait sur la route; 1er
avion : cachés dans fossé (ma cousine a en mémoire sa grand-mère
couchée sur elle dans un fossé, puis des chevaux éventrés sur la route après
le passage de l'avion) ; Yvonne partie en vélo
acheter pain; déjeuner lapin dans restaurant; grosse averse;
dîner hangar d'un château; eau chaude; coucher dépendance
château.
Vendredi 14 juin : Tartines confiture; bu
de l'eau; partis bonne heure 6 h du matin; avant
Rambouillet, 1er camion brûlé; trous de bombes;
bu café dans café pas aimable; acheté escalope; beaucoup
de soldats; dans ferme cousin de M. Asselin fait cuire
escalope... Beaucoup de monde sur la route; bu du lait dans une
ferme; beaucoup de soldats; acheté beefsteak;
trouvé grande poussette à tirer brancard... Dîner et dormi
grange, dame fait cuire beefsteak... Soldats Belges... L'Armée
Allemande entre dans Paris, déclarée ville ouverte...
Samedi 15 juin : Mangé tartines
confiture, bu lait; partis à 6 h; avant Dourdan, avions (Italiens
d'après ma mère); avant Les Granges-le-Roi, beaucoup
de soldats (à 2 km au Sud de Dourdan); Yvonne
en avant avec vélo... Chez parents M. Asselin déjeuner poule,
laissé affaires (la cantine), parlé avec M. Asselin (des bretons
et tous
les habitants de Morainvilliers se trouvaient là, dans une
grange, et mon grand-père préféra les ignorer). Repartis
à 16 h
A droite de la route, village abandonné,
trouvé oeufs dans ferme, dîner dans maison en face; trouvé 2
poussettes, dame revenue, lui avons donné 20 F. Repartis à 21
h... Beaucoup de canon. Marché jusqu'à 23 h et
couché dans grange à droite sur la route où déjà des gens. Attention
aux lumières, beaucoup d'avions...
Dimanche 16 juin : Repartis à 4 h du
matin... Marché beaucoup... Mémère et Christiane montées dans
auto sur 7 km... Pays pillé
Déjeuner
dans café, laissé imperméable de Raymonde... Arrêtés
souvent dans le fossé (à cause des avions qui mitraillaient les réfugiés). Allemands proches...
il fait très chaud; bu à fontaine dans cour d'un café; 3
soldats Belges ; Mémère, Christiane et moi prises dans
camion; roulé très vite; village bombardé, attendu
longtemps; Gustave et Raymonde très fatigués; petit tunnel...
Trouvé boîte de pâté; dîner pain, jambon; couché dans
grange à Château-Gaillard (NB:
dans la commune de Santilly (28) à 50 km au Sud de Dourdan et 25 km au Nord de Orléans).
Les ponts de Orléans sautent....
Lundi 17 juin : Laissé nos affaires.
Pain, vin blanc; voitures Allemands... Village
à gauche, arrêtés dans ferme Marteau. (à Ruan, dans le hameau d'Assas [précision trouvée dans le
calepin de ma tante Raymonde], à 140 km de Morainvilliers et 40 km au nord d'Orléans; un villageois leur dit de s'installer
dans une ferme abandonnée par ses propriétaires (Mr Marteau),
mais de donner à manger aux poules et lapins; ils y restèrent du lundi soir au mercredi midi); tué lapin, trouvé oeufs,
confiture, acheté lait; dormi buanderie et chambre; soigné
pieds...
(NB: Ayant été rattrapés puis dépassés par les troupes
Allemandes, et les ponts sur la Loire ayant été détruits par
les troupes Françaises en retraite, il devenait inutile de
continuer, et ils s'arrêtèrent 36 h dans la ferme abandonnée
des Marteau pour soigner les pieds de mon grand-père, après
120 km de marche, avant de rebrousser chemin...)
L'armistice est demandé...
Mardi 18 juin : Tué 2 lapins et 1 poule,
petits pois... Soldats...
Mercredi 19 juin : Fait cuire poule et
lapins, oeufs durs... Les Marteau arrivés, déjeuner et
partis...(NB: propriétaires très
mécontents de leur présence bien que mes grands-parents aient
nourri les animaux durant 2 jours et protégé la ferme du
pillage; mes grands-parents ont payé lapins et poule tués, et
demandé à emporter 1 casserole avec eux, mais les Marteau ont
refusé).
Dîner et coucher dans ferme village à droite; oeufs coque,
lait, lapin froid; dormi paille...
Jeudi 20 juin : Gustave mal aux pied,
goutte... Vu curé pour eau; pain sans levain, lait chaud, vin en
gros 3 bouteilles; ailleurs 4 bouteilles, cour ferme 1 de
champagne... Déjeuner route, reposés souvent. Dans cour de
ferme à gauche sur route bu eau... Arrêtés de bonne heure
village à gauche 1ère ferme; bain dans la mare. Donné à
manger aux bêtes. Oeufs à la coque, restes du lapin,
groseilles. Couché grange, matelas...
Vendredi 21 juin : Confit, vin blanc,
eau, déjeuner dans jardin à gauche, parlé à Allemands, boîte
crabe, un peu de pain... Arrêtés souvent... Bu eau, demandé à
1 Polonais (de l'Armée Allemande) camion emmenés
jusqu'à 8 km avant Versailles, au camp d'aviation Orly... (NB:
C'est dans un camion de l'Armée Allemande qu'ils ont été
emmenés à Orly). Vu gardes mobiles, nous ont donné pain,
fromage. Dîner pois, dans minoterie...
Samedi 22 juin : Partis de bonne heure.
Café à Fresnes, journal, charcuterie, épicerie, escalope...
Christiane (5 ans) prise en voiture sur 3 km par Gardes mobiles.
Arrêtés dans café pour déjeuner. Camion pris Mémère,
Christiane, Marie-Thérèse Van Dijck. Yvonne suit en vélo;
tombée, camion marche arrière pour la panser... Arrêtés à
Versailles, attendu... Beaucoup marché dans la ville pour
trouver refuge pour réfugiés... Pluie... Kommandantur: Raymonde
se trouve mal... Hôpital, Gustave très fatigué, pansé. Dîner
soupe, riz au lait, jambon, vin rouge, après dormi dortoir
hôpital. Gustave en bas avec chien...
Dimanche 23 juin : Partis 9 h du matin...
Acheté 2 litres de lait, olives, jambon, saucisson, pain;
acheté landau, laissé 1 poussette... Kommandantur; autobus,
descendu à Bougival (78). Déjeuner sur banc le long de la
Seine... Camion jusqu'à Morainvilliers... Chocolat, Sauternes,
bouteille de goutte... (NB: après
périple de 230 km à pied en 11 jours)...
Lundi 24 juin : Lever
5 h 30 pour cueillir les fraises".
NB: La cantine qu'avait emmenée M. Asselin, et que mes grands-parents n'avaient pu reprendre lors de
leur arrêt aux Granges-le-Roi, fut ramenée à Morainvilliers
par celui-ci...
Notes : Le style
sténographique des notes de ma grand-mère ne permet pas
d'imaginer l'ambiance de l'exode: lorsqu'on lit : "souvent
dans le fossé", il faut comprendre: "les avions
Allemands n'arrêtent pas de mitrailler les colonnes
de réfugiés, et plusieurs centaines de personnes se jettent
dans les fossés, les chevaux tirant les charrettes sont tués,
les enfants pleurent", etc... De même, "beaucoup
de monde" signifie: "des colonnes de centaines de
personnes, femmes, enfants, vieillards, etc..."; "voitures
Allemandes" signifie "les troupes Allemandes
fonçant vers le Sud nous dépassent". Durant l'exode, la
faim et la soif tenaillaient aussi en permanence les
réfugiés... Lors de leur retour vers le Nord, il n'était pas rare
que des camions de soldats Allemands recueillent des gens
épuisés, leur donnant à boire, et les transportent jusqu'à la
ville la plus proche...
Le fait que mes grands-parents soient arrivés trop tard pour
passer la Loire leur évita d'être bloqués en "zone
libre" pendant plusieurs mois avant de pouvoir regagner
Morainvilliers, et leur a permis de faire leur 1ère récolte de
fruits (aidés par 3 des 4 soldats Allemands qu'ils avaient dû
héberger par réquisition et qui s'ennuyaient à ne rien faire),
bien que l'argent gagné ainsi ne leur ait servi à rien pour se
nourrir l'hiver suivant, mais cela leur a surtout évité
d'être pillés durant leur absence.
L'exode concerna au moins 8.000.000 de personnes dont 1.200.000 Belges, et fit 100.000 morts ou disparus...
Occupation
Le 31 juillet 1940 arriva à Morainvilliers un officier Allemand chargé de réquisitionner des cantonnements pour ses soldats, et 4 d'entre eux s'installèrent chez mes grands-parents, au 1er étage de la dépendance réquisitionnée par le Maire du village. Les soldats se montrèrent polis et très discrets, se préparaient leurs repas avec leurs rations et mangeaient entre eux dans la cuisine. Après quelques jours, lors d'un repas, ma futur tante Raymonde ne put s'empêcher de s'esclaffer en entendant une de leurs plaisanteries, trahissant sa bonne connaissance de la langue, que la famille avait cachée ; l'atmosphère se détendit petit à petit entre les soldats et mes grands-parents, ils participèrent même aux travaux de l'exploitation . L'un d'eux était un fanatique et les 3 autres avaient conseillé à mes grands-parents de s'en méfier.
Un soir un officier allemand fit irruption et voulut confisquer le poste de radio qu'il avait entendu de la rue ; les soldats s'interposèrent, le poste de T.S.F fut sauvé . Ils restèrent 3 mois et repartirent le 24 octobre 1940.
Après l'armistice ma jeune tante Raymonde fut un temps employée par la mairie de St-Germain-en-Laye au bureau des Affaires Allemandes, tout en suivant le soir des cours de perfectionnement en allemand à Paris ; après avoir été boudée quelque temps par la population de Morainvilliers elle devint vite appréciée pour l'aide qu'elle pouvait apporter à l'obtention de laissez-passer pour la zone libre .
Dès octobre 1940, mes grands-parents prirent en bail de 12 ans 3 hectares plantés d'arbres fruitiers pour rendre l'exploitation rentable, puis 3 autres hectares eux aussi d'arbres fruitiers en janvier 1947. Ils achetèrent également 3 autres terrains dont 2 plantés d'arbres fruitiers à différents endroits de la commune.
Les haricots blancs secs furent le légume principal de l'hiver 1940-1941 pour la famille.
Durant cet hiver 1940, mon grand-père perdit 36 kg et ma grand-mère 18 kg, par manque de nourriture (les habitants de Morainvilliers, pourtant tous cultivateurs, n'avaient jamais rien à leur vendre...). Puis les cartes de rationnement (voir cartes) permirent d'acheter des semis de légumes pour les années suivantes, les menus de leurs réveillons familiaux des Noël 1941 et 1943 montrent l'amélioration de leurs conditions d'existance : .
Un commis de ferme, Christian Zimmer, était employé à demeure, et des habitantes des alentours étaient employées à la tâche durant les récoltes. Une jument aidait aux travaux agricoles. Des poussins avaient été achetés pour assurer un approvisionnement en oeufs, un couple de lapins permit de débuter un petit élevage.
1940
les 1ers lapins
les
1ères poules
Durant l'été 1941 furent récoltés et vendus fraises, framboises, petits pois, haricots, quantité de poireaux (dont les graines avaient été envoyées par les parents de mon futur père, étant introuvables dans la région parisienne), en sus des poires, pommes, et prunes ; par contre les récoltes de haricots verts et pommes de terre furent désastreuses.
En prévision du mariage de mes parents mon grand-père acheta en mai un cochon qu'il engraissa jusqu'à la cérémonie et ma future mère se fit faire sa robe de cérémonie ; les parents et la sœur de mon futur père purent venir de Toulouse, on dansa toute la nuit dans le fruitier décoré pour l'occasion de feuillage et de guirlandes faites maison.
Mes parents partirent en voyage de noces à Le Mêle-sur-Sarthe, dans l'Orne, à l'hôtel du Boeuf noir que leur avait recommandé la directrice de l'école de Bures (hameau de Morainvilliers), hôtel dans lequel fut certainement conçu mon frère aîné. On était loin des hôtels de la Riviera, résidences habituelles des vacances de ma mère adolescente ...
A l'été 1942 eurent lieu les 1ères
moissons de foin
En juin 1942 mon futur père fut nommé instituteur à l'école des garçons d'Orgeval, à 3,5 km de Morainvilliers, et le couple et leur fils aîné Bernard, tout juste né, s'installèrent tout d'abord en octobre 1942 dans un appartement au dessus de l'école des filles, alors face à l'ancienne mairie, puis dans l'appartement situé au 1er étage de l'école des garçons, alors située sur le côté de l'église, où mon petit frère, ma petite sœur et moi-même naquirent au fil des ans. Il paraît qu'à ma naissance le directeur de l'école alla sonner les cloches de l'église... Mes 2 frères aînés quant à eux naquirent à Morainvilliers, chez mes grands-parents. Le 07 avril 1955 nous emménageâmes dans le nouveau Groupe scolaire Pasteur, qui fut inauguré le 11 juin. A la rentrée scolaire de septembre 1960, mon frère aîné Bernard devant commencer ses études supérieures à Paris, mon père se fit muter à St-Germain-en-Laye à l'école primaire de la rue André Bonnenfant, dans laquelle nous nous installâmes jusqu'à son départ en retraite, en juillet 1975...
En juin 1944 un avion anglais mitrailla la Grande Rue, qui longe la propriété, et une balle perdue frôla le berceau de mon frère Jean-Claude, alors âgé de un mois...
Anecdote concernant la
Belgique
Lettre reçue d'amis belges en juin 1941
" ... Ici le ravitaillement n'est pas ce qu'il devrait être : les pommes de terre sont rares et vous connaissez la place que tient chez nous la patate, vous pourrez donc juger de la perturbation que jette dans l'alimentation l'absence de cette nourriture ; ajoutons à cela que la maigre ration de pain ne permet pas de remplacer les pommes de terre et que la viande et la graisse sont parcimonieusement rationnées, et vous aurez un tableau assez fidèle de la difficulté devant laquelle se trouvent les Belges. J'espère que les choses s'amélioreront et que nous pourrons obtenir certains des aliments qui ont fait malheureusement défaut ces derniers mois..."