FAMILLE
CARAYON-DUCHÊNE
ANECDOTES FAMILIALES |
GUERRE 1914-1918
Lettres de Gustave Duchêne, infirmerie de campagne.
1915
Relation blessure reçue à Neuville-Saint-Vaast
Le 15 septembre 1915
Ma chérie,
Aujourd'hui en voyant mon écriture
cela va te rassurer, hier c'était impossible, après un voyage
en auto mes blessures saignaient et il fallait que je
reste tranquille.
Voici comment cela s'est passé : les Boches lançaient des
grenades et criaient comme des sourds, on craignait une
attaque aussi je me suis porté en 1ère ligne pour
encourager mes poilus ; j'ai attrapé des grenades et leur
en ai envoyé pas mal, puis voyant un Boche qui s'apprêtait a en
lancer une, j'attrape un fusil et je le descends mais un
autre me renvoie la réponse immédiate sous forme d'une balle
retournée qui, faisant ricochet sur les sacs de terre, m'a
traversé le dos. Heureusement que je m'étais mis de côté
pour recharger le fusil, sans quoi j'étais tué net, et encore
c'est un miracle la balle m'a labouré l'épaule gauche, est
passée à 1cm de la colonne vertébrale et est venue se loger
sous l'omoplate droite.
Ah les cochons ! ils ne m'ont pas raté cette fois-ci, et pour
la 4ème fois je suis bien touché. Enfin ma vie n'est pas en
danger et je remercie le Bon Dieu d'avoir eu pitié de moi.
Je suis parti aussitôt pour le poste de secours où mon ami Lemonnier m'a pansé et fait la piqûre antitétanique. Mon nouveau Commandant et l'ancien m'ont félicité et je suis reparti à travers les boyaux à pied car sur les brancards j'aurais encore plus souffert. Mais mon Dieu que j'ai souffert ! Je faisais 10 mètres, je m'arrêtais, et ce parcours au milieu des balles ; je me demande comment je suis arrivé. On m'a mis dans une voiture puis dans une auto, et j'ai encore plus souffert, enfin je suis arrivé à l'ambulance. Nouveau pansement, et le matin opération, le médecin-chef était charmant, il m'a fait souffrir forcément, mais a opéré très vite ; j'ai bu une bouteille de champagne pendant l'opération.
Je suis resté toute la journée à cette ambulance, puis hier matin on m'a conduit en auto à l'ambulance de la gare d'évacuation. Hier après-midi on m'a fait mon pansement qui m'a fait beaucoup souffrir mais cette nuit j'ai un peu dormi 3 ou 4 heures, et ce matin ça va. Le terrible c'est que je ne peux pas bouger ; je ne serai évacué sur un hôpital de l'arrière que Samedi car le Major craint qu'un nouveau voyage ne provoque une seconde hémorragie, j'en ai déjà eu une petite, et surtout que la plaie ne s'infecte. Il vaut donc mieux attendre 3 jours de plus.
Je t'en supplie sois bien courageuse, je te jure que ma vie n'est pas en danger, je t'embrasse ainsi que tous bien tendrement, ton Gustave.
Le 16 septembre 1915
Ma chérie,
Aujourd'hui cela va mieux.... Dis
donc hier soir je pensais à une chose : cela fait 4 fois que je
suis touché mais pas une seule fois en pleine figure, ce
n'est pas que je me trouve beau gars mais je leur suis tout de
même reconnaissant de ne pas avoir esquinté mon physique ! Tu
vois ça d'ici s'il m'avait enlevé un bout de nez, moi qui n'en
ai déjà pas beaucoup j'aurais été chouette !...
Sois tranquille je ne manque de rien ici, hier j'ai mangé
quelques bouchées de veau, j'ai des oeufs quand j'en veux, et on
a été m'acheter du raisin, j'en ai 2 kg près de moi !
Je suis dans un pavillon spécialement réservé aux officiers,
chambre à 4 lits, 2 fenêtres à petits rideaux bien
confortable, et j'ai fait acheter hier de quoi lire, je ne suis
pas malheureux du tout...
Je t'embrasse bien tendrement et j'ajoute quelques mots pour mes
parents :
Mes chers parents,
... Ne parlons pas de la
souffrance, ce n'est rien quand elle est glorieuse et qu'on
conserve la vie. Et puis, c'est pour la France !
Votre fils qui vous embrasse bien tendrement, Gustave.
Le 17 septembre 1915
Ma chérie,
... État stationnaire, je souffre
moins que les premiers jours... J'ai encore passé une nuit
terrible, il faisait chaud et puis les trains
débarquaient des troupes, ils chantaient tous à tue tête,
puis c'était les sifflets et le bruit des locomotives, les
bruits des chariots, et par-dessus tout ça le bruit de
nos pièces lourdes qui depuis l'après midi tiraient sans
interruption, tout tremblait...
Sais-tu ce que que l'on
me propose ? Une piqûre de morphine ! Tu penses bien que je ne
marche pas, j'aime mieux souffrir un peu, surtout que maintenant c'est
tolérable les nerfs finiront bien par s'abattre... Je voudrais déjà avoir vu le Major pour savoir si je vais partir demain; quelle
joie si je n'allais pas loin de Paris !...
Transféré le 19 septembre à l'hôtel
Meurice à Paris
Le 19 septembre 1915
Hôtel Meurice Paris
Chambre 229
Ma Chérie,
Quelle joie quand je me suis vu ce matin à 5
heures dans ce superbe hôtel, et si près de toi ; cette fois nous avons
du bonheur dans notre malheur. J'ai bien supporté le voyage, assez fatigant
mais fait dans les meilleurs conditions possibles ; je vais de mieux en mieux.
Viens me voir cet après-midi de 1h 1/4 à 3h 1/4 chambre 229, hôtel Meurice,
15 rue du Mont Thabor, cela ira tout à fait bien après.
Je t'embrasse en attendant bien tendrement,
Ton Gustave bien impatient.
Extrait du journal de marche du 36° Régiment d'Infanterie